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Hommeordinaire
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12 mars 2009

Abderrahmane Zenati: MEMOIRES D'UN ANE DE L'ORIENTAL

ENTRETIEN AVEC L'ARTISTE PEINTRE MAROCAIN ABDERRAHMANE ZENATI

photodaniel004Ma profession de journaliste dans un magazine littéraire français paraissant à Nîmes, m’amène à rencontrer beaucoup d’artistes à Paris, Nantes, Avignon ou Strasbourg…J’ai croisé peintres, musiciens, chorégraphes, écrivains, poètes… comédiens… cinéastes… On s'est parlé, on a dîné et discuté ensemble. J'ai très souvent été déçue par le mercantilisme de certains, la nullité, les prétentions ou la fausse modestie de la plupart… Et un soir, au Maroc, précisément à Saïdia, cette belle plage méditerranéenne qui fait la fierté du Maroc-Oriental, enveloppés par une chaude nuit d’été, j'ai rencontré, par hasard, au boulevard du front de mer, un peintre marocain… Un sexagénaire d’une simplicité touchante qui présente des œuvres où le Maroc traditionnel avec sa richesse, ses hommes, ses chevaux, ses couleurs, ses odeurs, ses souks, ses paysages de ses campagne et ses médinas sont stylisés. Des thèmes que l’artiste semble toujours chérir. Une place est également faite, dans ses toiles, aux musiciens richement colorés et autres figures liés de près ou de loin à la musique...  L’artiste, dans ses travaux abstraits fait preuve d’une grande maîtrise… La technique du dessin, des tons et des espaces et de la couleur. Le  peintre dont il est question n’est autre  que  le  doyen des artistes du Maroc-oriental Abderrahmane Zenati.

Nathalie Dubois: Bonsoir monsieur Zenati, lui dis-je sous un fond de musique berbère ou arabo-andalouse. Je suis journaliste, j’écris pour un hebdomadaire  culturel français… J'aime beaucoup ce que vous faites... Il y a comme une philosophie inhérente qui se dégage de vos œuvres… Moi qui passe mes vacances dans cette charmante plage, je ne m’attendais nullement à trouver  à trouver de si belles œuvres…

Abderrahmane Zenati: Merci beaucoup...  Je ne vous cacherai pas que, pour tous les artistes, tous les compliments et les hommages sont réjouissants, jouissifs et stimulant...

N.D: Votre peinture m'intéresse! Elle s'est imposée à moi très vite. C’est de la beauté dans la simplicité… Pourrais-je avoir un entretient avec vous ?

A.Z : Avec joie ! C’est toujours un vrai plaisir de discuter avec une personne qui s’intéresse à mes œuvres  !...

N.D : A vrais dire, je n’ai préparé aucune question…  Vous travaillez avec quelle matière ? Qu’est-ce qui donne ce relief dans chacune de vos toiles ?...

A.Z : C’est un  mélange de peinture à l’huile, de vinyle et de morceaux de cuivre des vieux plateaux à thé que je récupère dans le souk aux puces …

N.D : Il y a vraiment dans votre travail des couleurs qui accrochent l’œil et des formes qui ne laissent pas insensible….

A.Z : Merci mademoiselle… Je travail avec mes sentiments et mon cœur et ce qui est fait avec le cœur, va droit aux cœurs !...

N.D : Je remarque que dans presque toutes vos toiles, il y des chevaux…

A.Z : J’aime beaucoup le cheval, autant pour sa beauté que pour l’harmonie qu’il forme avec la nature. Au milieu de cette nature, le cheval donne une échelle. Il offre des propositions plastiques intéressantes avec la mer et le ciel par exemple. J’aime la vie, et le cheval, avec sa plastique et sa fougue, me ravit.

Vous êtes un des artistes qui symbolisent le cheval, votre  style m’a l’air bien affirmé...

A.Z : Je suis heureux de vous l’entendre dire… Mais vous savez, même si je peins depuis plus de quarante ans, en toute humilité, je ne me considère pas du tout comme « artiste » avec un grand A… Je veux dire, être « Artiste » ce n’est pas une fin en soi… Je suis en perpétuelle recherche que ce soit en ma personne profonde ou  dans le monde qui m’entour. 

N.D : Je crois que ce quelque chose dans votre peinture qui s'impose tout de suite, c'est le sujet, la pensée, l’esthétique… La forme de vos chevaux ou les formes des êtres humains qui composent le sujet de vos tableaux sont magnifiques. Je trouve que dans votre peinture  incarnée et généreuse, il y a de la méditation…

A.Z : Encore merci mademoiselle!!... Les gens regardent ma peinture avec les yeux, mais vous, c'est avec le cœur...

N.D : Parlez-moi un peu de votre art…

A.Z : Parler d’art, c'est comme parler d'amour et de sentiments : c'est indélicat, puisque finalement, quand tout est dit ou du moins, quand on a essayé de tout dire, la magie n'est plus. L'Art, c'est comme l'Amour, ça ne se dit pas, ça se vit...

N.D : A la lecture de votre biographie, on voit que les Européens apprécient beaucoup votre peinture.

A.Z : Je pense que cela tient à mon mode d’expression, à ma manière de traiter les formes et la couleur, et surtout à mon goût pour le cheval. Je ne suis absolument pas un peintre réaliste. J’aime que les choses soient suggérées, et même qu’elles restent mystérieuses. J’ai l’esprit qui simplifie. J’essaie toujours de donner la quintessence avec peu d’effet, de dire beaucoup avec peu.

N.D : Monsieur Zenati… Et si vous vous présenter vous-même, à mes lecteurs en quelques mots  ?…

A.Z : Je crois que se présenter n'est pas chose facile… Cependant, je vais le faire avec une grande confiance… Je m'appelle Abderrahmane Zenati. Je suis marocain ordinaire, simple et humble. On peut vivre une vie humble et puis avoir des rêves aussi, vous savez… Je suis autodidacte et j’aime peindre et écrire en langue française.  Je compose des poèmes aussi. J'édite mes ouvrages à compte d'auteur. Quand je dis autodidacte, c'est dans le vrais sens du terme. Je n'ai jamais fréquenté une classe durant mon enfance. Jusqu’à l’âge de douze ans, je ne savais lire ni A, ni B. Il m’a fallu beaucoup de volonté, de curiosité, de patience et d’amour, des années de lutte, de travail acharné, d’observations et de recherches pour apprendre tout seul à lire et à composer la plus simple des phrases.

N.D : Et de là vous êtes arrivé à écrire tous ces livres que je vois sur votre table ?… Combien de livre vous avez écrit ?

A.Z : J’ai écris 163 et j’en ai édité 52.   

N.D : C’est surprenant… C’est fabuleux et prodigieux … Vous avez fait bien du chemin, je vous félicite… Et qu’est-ce que vous abordez comme sujet dans vos livres.

A.Z : Dans les uns, je raconte mon enfance déchirée, Je suis la personne que je connais le mieux donc c'est plus simple que je raconte ma vie plutôt que celle de mes voisins, qui est sûrement aussi intéressante... Dans d’autres ouvrages, je parle un peu de tout … de tout ce que je vois autour de moi dans mon pays, de tout ce que je ressens… Je suis le témoin oculaire de mon époque…Cela dit, dans la vie je ne passe pas mon temps à parler de moi....

N.D : Comment êtes-vous devenu artiste-peintre ?

A.Z : Vous savez, pour être artiste peintre, conteur populaire, parlementaire ou même président d’une république, nul besoin d’école ou de diplôme !... Il faut juste oser et j’ai osé ! Ceci dit, en vérité, ce n'est pas moi qui ai décidé d'être peintre...  C'est la peinture qui m'a choisi, depuis mon enfance…

N.D : Parlez-moi un peu de votre enfance…

A.Z : J’avais un peu plus que dix ans et, orphelin de père, je fus abandonné par ma mère qui, elle-même était dépassée par la misère… Je vivais seul dans la rue et les terrains vagues à Oujda… Comme des centaines d'enfants, filles et garçons abandonnés à cette époque, je dormais à la belle étoile.  Aujourd’hui, je me demande si c’était bien moi cet enfant fragile que je vois dans mes souvenirs et mes insomnies… Je me revois toujours maigre comme un clou, crasseux, vêtu de guenille et affamé… Je pataugeais jusqu'au cou dans la misère et l’ignorance. Pour subsister, je mangeais n'importe quoi...Tout ce que je trouvais de mangeable dans les poubelles et les décharges publiques.

N.D : Votre enfance n'était pas joyeuse, c'est vrai. Mais, elle est tout pleine d'espoir et de couleurs qu'avec votre façon de faire des mixtures, vous avez fait toute une Vie… Mais de là à être l’excellent  peintre que vous êtes, comment cela s’est-il produit ?

A.Z : Le hasard !... Je me rappelle un matin, pas comme les autres. C’était l’hiver et il faisait très froid. J’avais faim.  Il n'était pas encore sept heures et je faisais les poubelles pour trouver quelque chose à manger. Devant une porte d'une famille française, face au cimetière chrétien, j'ai trouvé une vieille boite de peinture à l'eau, déjà entamée... En étalant, par instinct, de la couleur avec mes doigts sur un vieux carton, j'ai vu apparaître des couleurs qui m'ont ravi. Les mélanges obtenus par hasard m'avaient fasciné... D'un blanc et d'un rouge, un rose parut par enchantement... D'un bleu et d'un jaune un vert prit forme... Ce fut pour moi une immense joie. Cette découverte m'amusa et occupa mon esprit. Elle m'avait fait oublier pendant quelques instants ma faim et ma désolation. Ce mélange des couleurs a été le déclic qui déclencha spontanément ma passion et ma sensibilité pour la peinture.... Plus tard, toujours par instinct, par amour, par plaisir, je passais des heures à noircir les murs avec du charbon en dessinant les personnages de bandes dessinées  que je trouvais dans les poubelles ou que j’achetais devant la porte du cinéma Vox : Zorro avec son masque, des cow-boys sur des chevaux, des indiens coiffés de leurs plumes, Tarzan et ses animaux sauvages... Lions, singes, éléphants, girafe...Je dessinais n'importe quoi sur n'importe quel support, surtout sur les portes des écoles... Cela émerveillait les enfants de chaque cartier que je fréquentais. J'avais compris alors que grâce au dessin, les enfants des familles riches acceptaient ma présence parmi eux. Mes modestes talents artistiques me permettaient de partager leurs jeux, leurs discussions et leur goûter... Au fond de moi-même quelques choses s'étaient ancrées ou avaient bourgeonné. Je me sentais devenir autre. Il s'est produit un remarquable revirement chez les parents de mes petits camarades, quand ils ont vu mes dessins... quand ils se sont rendu compte que je n'étais pas le monstre qu'ils imaginaient et, au contraire, avaient découvert en moi une sensibilité et un soupçon de don, ils me témoignèrent de la sympathie et les sourires avaient remplacés les brimades... Les mots d'encouragement s'étaient succédé aux injures...

N.D : C'est magnifique !...

A.Z : Depuis,  j'ai eue la chance d’exposer dans les meilleures galeries du Maroc et aussi en Europe, Paris et Berlin entre autres. Mes œuvres sont  actuellement chez de nombreux collectionneurs, tant marocains que chez les étrangers. Vous pouvez les voir actuellement dans les banques et dans les hôtels.

N.D : C’est l’audace qui paye et ça fait plaisir…  Vous avez fait bien du chemin… Bravo !

A.Z : Depuis 1994, j’ai déserté les galeries et je présente mes peintures et mes livres directement dans la rue. À bord de ma camionnette bleue  qui porte l'enseigne de « L'art qui bouge », j'ai sillonné presque tout le Maroc Je suis allé un peu partout, dans les petits villages du Sud et dans les grandes villes... Rabat, Casablanca, Marrakech où Agadir... Aujourd'hui j'ai posé ma valise à Saïdia...

N.D : Pourquoi justement Saïdia ?

A.Z : Ici, je trouve le calme pour peindre et écrire…En dépit des obstacles et des difficultés que j’éprouve avec certains représentants des autorités, j’expose quand même mes œuvres chaque été dans la rue. Cette manifestation que j’estime une excellente animation culturelle de la rue, reçoit la visite des gens de tous les milieux, les riches comme les défavorises  qui font connaissance avec ma peinture et mes écrits... Je pense que l'art et la culture peuvent permettre aux groupes sociaux marginalisés dans notre pays à maintenir une cohésion sociale... L'art et la culture, permettent aux individus de trouver une identification positive qui se situe à l'inverse des conséquences de la non-insertion sociale et de la délinquance...

N.D : Vous avez fait bien du chemin… Bravo ! Mais dites-moi monsieur Zenati, qu’est qui fait qu’un homme comme vous expose dans la rue ? Qu’est qui fait qu’un homme avec votre riche passé et votre expérience opte pour étaler ses œuvres  en vrac dans la rue ?

A.Z : Si j'expose dans la rue, c'est pour vaincre cette crainte chez les gens de franchir le seuil d’une galerie d’exposition ou d’une librairie... J’ai exposé dans la rue  à Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger, Fès, Meknès et Agadir… Certains responsables de ces villes acceptaient que j'expose dans la rue, d'autre me tolèrent à peine et d'autres me refusent... Il faut dire que si j'ai opté pour exposer dans la rue, parce que tout simplement, il n'y a pas jusqu'à présent de vraies galeries dans les villes marocaines, à part Casablanca et Rabat… Dans les autres villes se sont les encadreurs qui jouent le rôle des galeristes... C’est un véritable nomadisme endémique que nous connaissons nous autres artistes. Jeunes ou moins jeunes, connus ou inconnus, nous sommes tout le temps en quête d’un espace convenable pour exposer. Et dire qu’ils construisent des mosquées et des stades couteux, mais presque rien pour l’art et la culture… J’en avais marre chaque fois de solliciter une autorisation d’exposer difficilement accordée  par certains responsables ignorants et insensibles à l’art. Chaque fois, j’ai l’impression de démarcher ma première sortie publique. Quand bien même certains peintres auraient-ils un dossier de presse substantiel et un parcours plus long que les années, ils devraient eux aussi procéder soit par relations interposées soit en faisant des concessions. Et comme un artiste, c’est quelqu’un de vulnérable, ou il admet ce qu’on lui propose comme conditions d’accrochage, c'est-à-dire « offrir » des œuvres ou de l’argent aux uns et aux autres ou alors c’est le rejet…  A Saïdia c’est pareil… Et puis, si j'expose ma peinture et mes livres dans la rue, parce qu’ici, comme je viens de vous le dire, il n'y a pas de galerie... Et dire que c'est une ville à vocation touristique... Une ville où l'art est totalement absent. Ici, le touriste  bronze idiot.   A part la mer et  le couscous il n'y a  pas autre chose à voir ou à faire... D'ailleurs, ici,  certains responsables locaux s'en fichent complètement de l'art et des artistes... Tout ce qu’ils veulent c’est ce remplir les poches de n’importe quelle façon…

N.D : Quels sont les échos des estivants face à votre idée d’exposer dans la rue ?

A.Z : Le public apprécie et vient massivement visiter mon exposition. Il se montre intéressé. Ses réactions sont très rassurantes. Mes visiteurs me donnent assez de temps pour communiquer agréablement avec eux… Ce boulevard de front de mer est devenu un carrefour d'échange, de dialogue et de retrouvailles qui œuvre pour la promotion et le développement des arts plastiques dans cette région et qui vient, comme je viens de vous le dire, combler ce manque criant de galeries à Saïdia.

N.D : Je vois que votre initiative à fait école… D’autres peintres exposent maintenant en plein air, ici à Saïdia et dans d’autres villes du Royaume.

A.Z : Oui, en effet, certains artistes ont suivit mon chemin et exposent dans la rue. Ce qui est désolant, c’est que certains me copient et signent même leur plagiat par mon nom…

N.D : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

A.Z : C’est très énigmatique comme question. Mes sources d’inspirations sont : mon vécu, mon histoire personnelle. Tout m’inspire… L’amour m’inspire,, la société m’inspire, la beauté du ciel du Maroc, la nature, une discussion constructive… le voyage m’inspire aussi…

N.D : Lorsque vous  commencez une toile, avez-vous  une idée précise de l'aboutissement souhaité ?

A.Z : Pour certaines toiles oui, mais pour la plupart non.

N.D : Est-ce un casse tête de trouver un tire à une toile ? Avez-vous déjà confié cette tâche à une autre personne?

A.Z : C’est difficile à dire, je crois que pour moi, l’impulsion de la peinture est née grâce aux autres, du fait de vivre en société, il me semble que ma peinture, tend vers le « Nous », vers le « faire ensemble », qui lie le peintre au public. J’essaie parfois de laisser les autres participer, imaginer et donner un titre à une toile.

N.D : Aujourd’hui, à travers le monde, il y a  différentes techniques picturales quelle est celle que vous préférez?

A.Z : La question de la technique, n’est pas trop importante pour moi. Je suis autodidacte et je pense que qu’il faut se donner une certaine liberté pour créer… La liberté de ne pas se laisser enfermer dans des techniques classiques… J’aime les techniques mixtes le mélange de tout dans une seul toile. Les peintres aborigènes en Australie utilisent la terre et la boue dans leurs toiles et dans certaines des miennes, il y a le sable de la plage de Saïdia…

L’artiste m’invita à m’asseoir à coté de lui, m’offrit un thé chaud à la menthe dans un grand verre et aborda avec moi des sujets variés : La vie en France, le Maroc qui bouge,  le jeune Roi M VI.

N.D : En tant qu’artiste, que pensez-vous du jeune Roi M VI.

A.Z : Notre bon et sage Souverain encourage l’art et les artistes. Il fait bouger le Maroc dans le bon sens. Il a choisi pour ce pays que j’aime et pour son peuple la voie des réformes courageuses dans tous les domaines. Ce jeune Souverain ne cesse d’œuvrer pour la prospérité de tous les Marocains et pour la paix et la stabilité dans la région et dans le monde. Quel merveilleux et louable exemple donne aujourd’hui ce Roi dynamique que j’aime et qui est entouré de cette respectueuse et universelle sympathie! Quel exemple donne le Maroc à d’autres pays à travers le monde qui ont tant de mal à décoller en dépit de leur pétrole et de leur gaze… Ces pays qui ont tant de mal à définir leur propre identité et qui sont toujours à la recherche d’une histoire ! Comme j'aimerais  que ces  pays s’inspirent de ce qui se fait au Maroc, sous les directives sages et éclairées de notre Souverain! »

L'artiste me parla ensuite longtemps de ces extrémistes musulmans, chrétiens et juifs :

A.Z : Ce n’est que dans un but politique que ces gens endoctrinés endoctrinent à leur tour les ignorants en leur miroitant les splendeurs d’une époque révolue avec le « paradis » en prime.

Puis il aborda le conflit israélo-palestinien :

A.Z : Il faut vraiment faire attention à tenir des propos haineux et ne pas confondre judaïsme et sionisme… le premier étant une religion monothéiste pratiquée par des millions de personnes qui sont parfaitement dans leur droit de croire et pratiquer cette religion, le second (sionisme) étant une idéologie raciste, expansionniste, coloniale et fachiste… La question palestinienne est une affaire de colonisation face à une résistance qui veut libérer ses territoires. Le lobby sioniste lui est certes soutenu par des individus à travers le monde qui se disent de confession juive, mais la réalité est que ces individus utilisent la religion beaucoup plus qu'ils ne la respectent ou croient en ses véritables enseignements. Nombreux sont les juifs qui sont anti sionistes, à commencer par les juifs de Palestine qui y vivaient avant l'arrivée des colons, beaucoup d'entre eux se sont exilé, refusent le sionisme et l'occupation et militent en faveur d’un Etat palestinien. Les ashkénazes sont en majorité la source du problème, car persécutés en Europe le siècle dernier et depuis des siècles, sont aujourd'hui en majorité les dirigeants qui promouvaient le sionisme et ses idées. Et bien souvent des austro-hongrois de descendance aristocratique et de confession juive, venus directement de l'Europe avec des idéaux coloniaux ont mis à feu et à sang la terre palestinienne pour y arriver tout en pratiquant la ségrégation envers les juifs séfarades et les autres confessions monothéistes; chrétiens et musulmans. 

L'artiste me donna son opinion sur l’invasion de l’Irak par l’armée américaine… sur ces jeunes marocains qui, à leur risque et péril, pour la recherche « du pain et de la dignité », selon l’expression de mon interlocuteur, traversent la méditerranée dans des embarcations de fortune et nombreux parmi eux se noient à la fleur de l’âge. Il me parla longuement des travaux de restauration et d’«embellissement » d’Oujda et de Saïdia… Aussi du tourisme sexuel qui fait sa brusque apparition dans la région, puis, il me parla du différend entre l’Algérie et le Maroc, de la fermeture des frontières entre ces deux pays :

   A.Z : Vous savez, mademoiselle… Beaucoup de faits, dans l'Histoire des Algériens  qui avaient trouvé refuge chez nous à Oujda et dans l’ensemble du Maroc, durant  la guerre d'Indépendance d'Algérie, restent dans le non-dit… Beaucoup d’événements qui ont marqué les Oujdis à vie  restent à l’intérieur d’une zone d’ombre voulue ou par manque de témoignages.

N.D : Et vous, vous en savez quelque chose sur ces « événements » que vous dites ?

A.Z : J’ai abordé ce sujet dans certains de mes livres…. J'étais jeune à cette époque où Oujda était dominée par la forte colonie algérienne, mais je me souviens de tout!  Je me souviens aussi de la guerre entre les Moudjahidines algériens et l’armée française. Chaque soir, au-delà de Ras Asfour, du Djebel Sidi Boussaïd, les montagnes qui entourent Oujda et qui font frontière entre le Maroc et l’Algérie,  la bataille faisait rage. Le grondement des canons, les détonations des grenades et les tirs des mitraillettes étaient entendus dans tous les quartiers comme s’ils étaient à l’intérieur de la ville même. Je me rappelle, la nuit, je voyais dans le ciel des boules de feu qui précédaient les explosions, et comme un feu d’artifice, les balles des armes automatiques partaient dans toutes les directions et leur luminescence se mélangeait dans le ciel avec celle des étoiles lointaines... De puissants projecteurs balayaient les rues sombres de la ville. Mon  quartier, Rue Maâzouza, était de temps à autre éclairé par de puissants projecteurs comme si c’était le plein jour. Au début, bien sûr, cela m’effrayait. Je me demandais, si l’armée française n’allait pas un soir braquer ses canons et toutes les foudres de ses armes infernales sur ma ville, mais avec le temps, j’ai compris que les braves moudjahiddines lui donnaient suffisamment de fil à retordre dans les montagnes d’Algérie pour qu’elle pense à utiliser ses armes et ses munitions contre ma ville. A la longue, comme tous les habitants d’Oujda, je me suis habitué aux  détonations et aux sifflements des balles... C’était presque comme un spectacle...  Je venais d’être recruté comme aide-soignant à la santé publique. L’hôpital d’Oujda était réservé aux moudjahidines algériens blessés. Il n’y avait pas un seul médecin marocain. A part quelques français et espagnols, tous étaient algériens. A cette époque, le F.L.N. (Front de Libération National)  s’activait fébrilement à Oujda. De gré ou de force, il plaçait trois à six moudjahiddines dans chaque famille d’origine algérienne de la ville. Les artificiers du F.L.N fabriquaient de puissantes bombes artisanales à l’intérieur des maisons dans les quartiers populaires. Plusieurs d’entre elles éclatèrent accidentellement, Aucun journaliste n’a apportait son témoignage de ces nombreuses d’explosions  qui furent des dizaines de victimes parmi les Oujdis... Aucun historien ne parla non plus de cet avion français venu  du territoire algérien et qui largua ses bombes sur une caserne tenue par l’armée algérienne en plein centre ville d’Oujda.

N.D : J’ai entendu dire qu’il y avait beaucoup de refugiés algériens à Oujda…

A.Z : En effet… des centaines de familles algériennes avaient fuit la guerre d’Algérie qui faisait des massacres parmi la population civile. Je me rappelle ce matin où j’ai vu arrivé à Oujda toute une marrée humaine… Ce jour-là, il faisait froid et la pluie tombait par averses. Femmes, enfants et vieillards  traversaient la frontière par les routes, les campagnes, les oueds, enfin par tous les chemins qui mènent à Oujda, Ahfir, Beni-Drar, Touissit, Aïn Beni-Mathar, Tendrara, Bouaffa et Figuig. Ces malheureux algériens étaient exténués et affamés, après des jours de marche à travers la montagne où les massacres étaient permanents. Les enfants pleurnichaient. Les adultes étaient affolés avec des yeux effarés. Ils venaient des villes et des villages algériens avoisinant le Maroc et même des villes lointaines. Balluchons dans les mains et valises sur la tête, enfants sur le dos, ils avançaient sur les routes, sous la pluie en marchant sur la boue. Certains avaient une famille d’accueil et d’autres s’installaient n’importe comment et n’importe où… dans les vergers, les jardins publics ou carrément dans la rues. D’autres encore s’étaient organisés entre eux dans des campements de fortune. Ils vivaient, mangeaient, dormaient à même l’asphalte. Une odeur de peur et de misère, une odeur inhumaine, presque animal, s’élevait de ce troupeau hagard, chassé par les colons et par l’armée française de chez eux... Ils racontaient que des centaines d’hommes qui n’avaient rien à voir avec les moudjahiddines étaient égorgés par des soldats algériens sous le drapeau tricolore. L’Arabe tuait l’Arabe. Tel était le mot d’ordre du colonialisme français. Comme ailleurs, entre tutsies et Hutus, le service d’action psychologique de l’armée française s’activait dans la zizanie entre les arabes et les berbères… Pour faire parler les suspects, la torture n’avait pas de limite. Certains kabyles endoctrinés par l’armée et chauffés à blanc étaient sans merci pour leurs compatriotes… Ils furent des centaines de victimes dans des massacres aveugles que rien ne pouvait contenir. Les réfugiés racontaient que certains éventraient les mères, piétinaient les fœtus et les découper en morceaux… D’autres ajoutaient que des bébés étaient écorchés à vifs, devant le regard de leurs mères… des enfants, symboles de l'innocence, étaient dépecés, carbonisés par les égorgeurs entraînés par les légionnaires. Des femmes et des gamines en bas âge étaient, volées puis massacrées sauvagement. C’était inhumain… Les Algériens étaient plongés dans le désespoir le plus total. Ils savaient, qu’ils n’avaient aucune chance de revoir vivants les leurs laissés en Algérie. Je n’étais qu’un enfant et j’étais sensible à cette  souffrance de ces réfugiés algériens traqués qui fuyaient  la mort.  En plus des bruits des armes lointains, les cris des enfants, les plaintes des vieillards, les larmes des femmes rendaient les jours et les nuits d’Oujda tristes et interminable. Après cent trente ans d’occupation, l’Etat français, avec le décret  Crémieux, à donné la nationalité française à tous les juifs d’Algérie, 130 000 personnes environ ; tandis que la population Algérienne musulmans vivait toujours exploitée par les colons.  Les algériens n’avaient aucun droit dans la terre de leurs ancêtres. Ils subissaient toutes les injustices, les vexations et les privations. Ils étaient tous opprimés par les colons, l’administration et l’armée française.

N.D : Vous êtes une mémoire vivante, monsieur Zenati…

A.Z : Je ne suis pas historien, j’ai juste des souvenirs à raconter… Si certains réfugiés optèrent pour s'installer dans le centre du pays, la plupart avaient préféré  s'établir  à Oujda, Ahfir, Berkane, Aïn-béni-Mathar, Taourirt, Nador et d’autres villes proches de l'Algérie où ils n’étaient guère dépaysés. L'accent oriental est identique au parler algérien et des décennies marquées par un va-et-vient incessant. Marocains et algériens avaient fini par créer des liens solides des deux côtés de la frontière.

N.D : Est-ce que les Marocains étaient solidaires avec ces Algériens qui venaient en masse ?

A.Z : Durant la guerre d’Algérie, les Marocains, n'avaient jamais caché leur sentiment de compassion et de solidarité avec ceux qu'on appelle «  Nos frères Algériens». C'était  un sentiment humain et fraternel qui régissait les rapports avec ces malheureux qui arrivaient à fuir l'horreur des massacres et l'insécurité qui régnaient là-bas, en Algérie.

N.D : Combien étaient-ils?

A.Z : Difficile de répondre. Lorsque des milliers  quittent leur pays en viennent en masse, de manière informelle échappe, en principe, à tout décompte.

N.D : Ils étaient donc si nombreux?

A.Z : Oui!  Et  plus la guerre se prolongeait, plus elle faisait des massacres, plus  le mouvement s'accélérait.

N.D : Est-ce que ces réfugiés algériens  avaient rencontré à Oujda un bon accueil par les autorités marocaines de l'époque?

A.Z : Oui... Et l’accueil par les autorités marocaines, et l’amitié des Oujdis. Ils avaient trouvé chez nous la sécurité et le calme.

N.D : Qui s'occupait d'eux?

A.Z : Nombreuses étaient les organisations non gouvernementales qui leurs venaient en aide. Entre autre, les quakers des Etats-Unis, les volontaires Suisses et les donateurs Belges…

N.D : Les réfugiés étaient-ils mélangés tout naturellement avec la population marocaine locale?

A.Z : Oui... La plupart d’entre eux avaient trouvé du travail. Avec le temps, beaucoup gagnèrent assez d’agent et achetèrent des maisons et des fonds de commerce. Certains ont pu acquérir des immeubles, des hôtels et des fermes au Maroc qui, jusqu’à nos jours restent leurs propriétés. Parmi les enfants des réfugiés, beaucoup étaient devenus mes amis... Aujourd'hui je déplore avec beaucoup d’amertume la fermeture des frontières terrestres depuis 1994.  Les familles marocaines ont deux choix pour se rendre en Algérie : aller à Casablanca et prendre un avion ou emprunter une voie moins légale en franchissant clandestinement les frontières. Je déplore aussi  avec tristesse cette incorrigible position politique algérienne qui continue avec obstination de soutenir cette bande de séparatistes qui se donne le nom de «Polisario». Les responsables algériens, perfides et ingrats, ont oublié le soutient du Roi du Maroc et de son peuple à leur cause nationale et soutiennent injustement ces perdants  au détriment des intérêts réels du peuple algérien, à savoir la normalisation définitive de ses relations avec le Maroc… Pourtant, le peuple algérien et le peuple marocain ne sont  qu’un seul et même peuple!...

N.D : C'est finalement cette affaire du Sahara qui bloque tout entre les deux Pays.

A.Z : C’est une épine douloureuse dans le pied qui empêche tout le Maghreb d’avancer… Mais enfin, dites-moi, mademoiselle ! Pourquoi ne parle-t-on que du «Sahara Occidental », qui, tout le monde le sait, historiquement et juridiquement, est une terre marocaine? Mais pourquoi ne parle-t-on jamais du  "Sahara Oriental" qui se trouve dans le territoire algérien et qui est si riche en pétrole et en gaz? Souvenez-vous, lors des négociations d’Evian, le colonialisme français ne voulait pas lâcher le Sahara « algérien ». Et puis, pourquoi parle-t-on du peuple sahraoui et du référendum juste du côté marocain et pas de celui du côté algérien ? Il faut être logique tout de même! Pour moi, toute cette affaire du Sahara n’est qu’une sorte de bombe à retardement laissée par le colonialisme pour envenimer les relations entre les deux pays frères… Grave affaire qui risque, tôt où tard, de mener les deux pays droit vers une guerre fratricide… Une guerre qui ne profite qu’aux ennemies des magrébins et des musulmans. L’Algérie n’a pas à jouer au gendarme dans la région et les frontières ne devront même pas exister. C’est une honte qu’elles restent fermées. Leur ouverture créera une grande zone économique, les entreprises pourront s’installer aussi bien au Maroc qu’en Algérie en fonction des avantages complétifs de chaque pays…  Ce que j’ai pu relever tant chez les marocains que chez les Algériens que j’ai rencontrés, c’est un sentiment d’amertume et d’impuissance devant une situation où des considérations politiques entre deux pays voisins influent sur les relations familiales.

N.D : Je suis certaine, qu’au fond de chaque algérien il n’y a pas de mépris ni de rancune pour les Maroc et ça va de même pour leurs frères marocains

A.Z : Vous avez entièrement raison. Le peuple algérien et le peuple marocain s’aiment et s’entendent très bien. C’est les hauts responsables d'Alger qui bloquent tout… Je pense notamment au Président Abdelaziz Bouteflika que j’ai côtoyé un peu durant ma jeunesse à Oujda...  Qu’est-ce qui motive cet homme à nier  volontairement dans sa biographie officielle d’être né à Oujda ? Il est écrit simplement: « Né le 2 mars 1937 »…  Certains  biographes de ce Président algérien amnésique ont raccommodé l’histoire pour le faire naître quelques kilomètres plus loin d’Oujda, plus exactement à Tlemcen, dans le territoire algérien… Quel mensonge grotesque et quelle honte !... Comme si naître à Oujda était une tare.  Mais Oujda est une ville millénaire qui a un riche passé culturel et héroïque. Jamais les ottomanes qui ont conquit l’Algérie n’ont pu mettre le pied dans cette ville de résistants.  Le colonialisme français non plus. Souvenez-vous de la bataille d’Isly… Il fallu des négociations serrées pour que le maréchal Lyautey entre à Oujda en 1907 alors que l’Algérie était conquise par le maréchal de Beaumont depuis 130 ans…    

N.D : C’est bizarre tout de même! Je ne vois pas pourquoi ce Bouteflika nie d’être né à Oujda…

A.Z : Autrefois, j’ai discuté assez longtemps avec lui!... Il venait voir son frère qui travaillait avec moi au service d’ophtalmologie à l'hôpital  Maurice Lousteau d’Oujda. Aujourd’hui, Al Farabi. Son frère était d’ailleurs un excellent paramédical. Il lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Lorsque le future Président venait le voir et, surtout pour voir une belle infirmière marocaine  dont il était éperdument amoureux.  (Jeunesse oblige) il avait toujours une histoire à raconter.  J'ai relaté longuement ce chapitre dans mob récit autobiographique: Al Hogra. D'après une personnalité très fiable  dans l'entourage de la présidence algérienne, monsieur Abdelaziz Bouteflika à bien  lu mon livre.

N.D : De quoi il parle cet ouvrage ?

A.Z : De l’histoire de la cohabitation entre algériens et marocains à Oujda à l’époque du protectorat français et durant la guerre d’Algérie… Ce livre a engendré beaucoup de polémiques. 

N.D : Ainsi, vous me dites que vous connaissez Abdelaziz Bouteflika durant sa jeunesse…

A.Z : Il n’y a pas de quoi être fier, vous savez !... Il faut dire que durant sa jeunesse, cet homme à la tête de l'Algérie, fréquentait un groupe de jeunes Marocains et Algériens qui étaient de véritables fouineurs de bibliothèque. Je pense au poète  si Azzouz Bendali, à Brixi Mourad, à  Jamal Kachouan… Belkacem Boutouil… à Gaouar Sidamed...  Je pense au musicien Ouarad Boumediene. A Cheikh Salah… A Ben Aouda, le chef de la clique municipal d’Oujda. J'étais louveteau au groupe du S.M.A « Scoutisme  Musulmans Algériens » et tous ces braves gens venaient nous parler du patriotisme, de l’éducation civique, de la culture, de l’art, et des penseurs et philosophes arabes… Le professeur Bouhassoun nous parlait de la « mouquadima» d’Ibn Khaldoun, de Taha Hocein, de Gibran Khalil Gibran…Il nous disait : « … Il faut savoir aller contre les évidences. Contre cette épouvantable banalité d'un destin tout tracé, plus par la violence des faits que par une vraie décision. Il faut chercher à infléchir le chemin des victimes les plus exposées. Il faut permettre à chacun de trouver sa place dans la société. La vraie exclusion n'est pas seulement la pauvreté. C'est surtout l’ignorance. C’est l’ignorance qui engendre la misère. Alors, il y a trois façons pour changer la vie. La première, l'école. La seconde, l'école. La troisième, l'école. C'est la seule solution pour changer la puissance des faits sur l'enfant et l'arracher à l'évidence de sa condition… »…  C’est incroyable… Cet homme était bon. Il avait changé ma vie. A travers ses causeries, il m’avait donné le goût du savoir, de la lecture. Le goût d’entreprendre et d’aller jusqu’au bout de mes rêves… Quand monsieur Bouhassoun aimait un auteur, il nous parlait de lui jusqu’au bout. Chacune de ces personnalités algériennes, qui elles, aujourd’hui, n’ont pas honte de dire qu’elles sont nées à Oujda,  nous parlait d'un  des  auteurs, poètes ou homme de science français ou arabe... Je n'allais pas en classe et c'est dans le scoutisme que j'ai appris à m’exprimer en langue française, grâce à si Azzouz Bendali. Cet homme avait une culture encyclopédique pour un instituteur de cette époque. Il était né pédagogue. Il  avait d'emblée l'intuition des procédés efficaces et excellait à inventer des formules mnémotechniques qui permettaient à chacun de discipliner sa mémoire.  A chaque réunion de groupe, il nous lisait quelques passages des ouvrages de Louis Ferdinand Céline, Marcel Proust, Fédor Dostoïevski, Apollinaire, Victor Hugo, Balzac, Arthur Rimbaud … Enfin, tous les classiques que lisait ce poète algérien qui vit actuellement en Suisse. N.D : Quel souvenir gardez-vous de Abdelaziz Bouteflika ?

Je me souviens... Lorsqu’il venait voir son frère, au service ophtalmologie, il était toujours vêtu en blue-jean et blouson de cuir, (c’était l’époque de « Sur les quais », de « L'équipée sauvage » de Marlon Brando et de «  Autant en emporte le vent » de Clark Gable). Pour épater « son » infirmière, parfois il se prenait pour un acteur et faisait des poses comme son acteur fétiche Clark Gable et parfois il jouait à l'intellectuel et citait de mémoire, et le Coran, et de la poésie arabe et française. Il citait machinalement des pages et des pages de certains auteurs, arabes ou français et il avait déjà cette manie de répéter trois fois la même phrase. Son frère, mon ancien collègue à la santé publique, à qui j’avais offert quelques une de mes peintures,  m’invitait souvent à diner chez lui en famille, ainsi je connaissais et la mère de Bouteflika, Lalla Al Mansouria et son père Si Ahmed…

N.D : Que pensez-vous de cet homme, aujourd’hui à la tête de l’Algérie ?

Personnellement, je suis marocain et je n’ai pas à me mêler de la politique algérienne, mais si j’avais mon mot à dire, je dirais volontiers que c'est bien dommage que cet ancien Oujdi fait main basse sur ce riche Pays et s'incruste pour le présider à vie... Il était peut-être bon une ou deux fois comme Ministre des Affaires Etrangères de son pays, mais je pense sincèrement qu’il n’a jamais était fait pour être Président... Rien n'a beaucoup changé depuis qu’il dirige ce pays. Le riche est devenu plus riche et le pauvre encore plus pauvre… Et puis il est déjà vieux !  L’Algérie à besoin de sang neuf… Parmi ses hommes et ses femmes, il y en a de véritables intellectuels et de personnes aptes à faire ce métier. Beaucoup d’algériens sont vraiment compétents pour conduire ce "bateau" vers la prospérité...   

N.D: Si vous auriez l'occasion de rencontrer Bouteflika, qu'est-ce que vous lui diriez?

A.Z: Je ne pense pas que j’ai envie de rencontrer cet homme, par contre, j’aimerais bien lui écrire un jour une lettre ouverte. 

N.D: Que lui diriez-vous ?

A.Z: Je lui dirais tout simplement: « Monsieur le Président... Vous et moi, nous avons presque le même destin. Moi, rien ne me destinait à être « artiste peintre » et vous, rien ne laissait prévoir qu’un jour vous allez être le « Président de le République Algérienne ». Le jour où vous étiez élu, tous les Oujdis, qui vous considèrent toujours comme un des leurs, étaient fier de vous et de votre réussite.  Monsieur le Président, puisque vous êtes à la tête de ce respectable Pays, je peux  me permettre, en toute fraternité, de vous dire de tout faire maintenant pour instaurer un climat d’apaisement entre votre pays de naissance, le Maroc et votre pays d’origine l’Algérie. Ne perdez pas cette belle occasion qui vous est offerte de rentrer par la grande porte de l’Histoire Universelle comme un homme de sagesse, un homme de paix… Vous qui êtes né et avez grandit à Oujda… Vous, qui Aujourd’hui, vous dirigez  ce grand Pays respecté, ce pays d’un million et demi de martyres, ne perdez pas cette opportunité d’être le réconciliateur qui rapproche les deux peuples frères. Soyez, Monsieur le Président, le ciment catalyseur qui soude et solidifie la fraternité entre Marocains et Algériens. Dans sa sagesse et sa clairvoyance, Sa Majesté Mohamed VI, notre souverain bien-aimé, vous tend la main fraternellement  pour instaurer ce climat de paix tant souhaité par les peuples maghrébins. Le Souverain désire vraiment unifier le grand Maghreb. Nous sommes tous des musulmans, monsieur le Président. Nous croyons au même Dieu, nous lisons le même Coran, nous parlons la même langue, nous fêtons les mêmes jours religieux et nous avons le même destin. Le  Maghreb-uni c’est peu être pour certains une utopie mais moi j’y crois très fort. Arrêtons ce nationalisme qui nous divise, monsieur le Président... Souvenez-vous, de ce groupe d’intellectuels Algériens d’Oujda que vous connaissez si bien et qu’aucun historien algérien n’évoque à présent. Souvenez-vous, ils étaient de fervents hommes de paix et des bâtisseurs qui avaient, avec leurs frères Marocains, posé les premières pierres pour l’édification du grand-Maghreb. Souvenez-vous du docteur Lazrak, du docteur Haddam, du docteur Clouch... Souvenez-vous du docteur Soufi, du pharmacien Abdelatif Abrous, du transitaire Abbas, du tailleur Kh’lil…  Souvenez-vous des professeurs Hassini, Berezgui, Almoutaouakil  et Kébir…Ne faut-il pas rester attaché et fidele à la vision de ces Algériens d'Oujda et de ces Marocains qui avant partagé avec leurs frères algériens le même combat pour libérer leur Pays du joug du colonialisme ? Monsieur le Président... Vous-même qui êtes né à  Oujda, ne viviez-vous pas vous et les vôtres en parfaite harmonie avec vos amis scouts Marocains du groupe Hassania ? Souvenez-vous aussi du collège Abdelmoumen où vous avez étudié Souvenez-vous de vos camarades marocains de classe… Belgaïd, Boulouiz, Osman, Rochdi, Ben Mira… Monsieur le Président... Personnellement, ayant voyagé a plusieurs reprises en Algérie, sur invitation des autorités algériennes, à des fins artistiques, je voudrais sincèrement témoigner de la chaleur de l’accueil qui m’y a été réservé par ce peuple accueillant et fier… Monsieur le Président... quand on voit comment les allemands, les belges, les italiens, les polonais... se rapprochent au sein de l’Union-Européen et ce avec tous les points de divergences qu’on leur connait, aussi bien culturels, religieux que politique. Alors que nous, deux nations sœurs n’arrivons pas a nous entendre ca m’attriste, ca m’attriste, ça m’attriste,  « comme vous, je répète trois fois les mots »… Oui ça m’attriste;   d’autant plus que si le colon avait tracé la frontière entre nos deux pays un peu plus a l’est ou un peu plus a l’ouest, je serais aujourd’hui d’origine algérienne ou mes cousins de Marhnia seraient marocain. C’est vraiment des foutaises… Monsieur le Président... Marocains et Algériens se tournent le dos, pendant ce temps, d’autres ont marché sur la lune, vont marcher sur mars, cherche des vaccins contre le cancer... Le poète Mouloud Maâmmerri qui est bien votre compatriote avait dit : « Quand trop de sécheresse brûle les cœurs, Quand la faim tord les entrailles, Quand on bâillonne trop de rêves, C’est comme quand on ajoute bois sur bois sur le bûcher. A la fin il suffit du bout de bois d’un esclave pour faire dans le ciel de Dieu, et dans le cœur des hommes, le plus énorme incendie »

Assise à côté de l’artiste qui dédicace ses livres et vend ses peintures aux passants, je me sentais bien dans ma robe légère d’été. J’étais tout le contraire de la « journaliste choc » que l’on voit à la télévision, au cinéma ou que l’on décrit dans les romans policiers.

N.D : Vous écriviez depuis combien de temps ?

A.Z : Depuis toujours… Du moins dans ma tête. Pour le dire vite. Les premiers textes qui, si on peut dire, ont été publiés dans la revue de la foire d’Oujda. C’était en 1970, j’avais 33 ans. De se voir imprimé pour la première fois, moi qui n’avait jamais fréquenté l’école, c‘est une émotion assez disproportionnée quand on mesure le plaisir qu’on éprouve aux quelques lignes qui ont mérité de la typographie. Par la suite, j’ai publié à peu près régulièrement des articles dans le quotidien l’Opinion. J’étais pour un certain temps le correspondant régional. Il m’a fallu plusieurs années pour vraiment trouver une forme qui corresponde à ce que j’avais envie de faire. J’ai commencé à me sentir plus à l’aise en 94, quand j’ai commencé à écrire mon roman autobiographique : Les cigognes reviendront-elles à Oujda ?.

L’artiste me renseigna sur des questions techniques de sa peinture : collage, répétition des œuvres, liberté d’expression artistique, la beauté et le sens de la création, la couleur, le geste, la matière, la lumière, la forme… et le rapport entre l’écriture et la peinture…

Dès la première minute de ma rencontre avec Abderrahmane Zenati, j’ai senti en lui un homme à l’esprit ouvert. Un peintre en perpétuel mouvement, qui est confronté en permanence à ces situations de création et d’exposition… de vendre surtout ses toiles aux touristes pour vivre, car, seule la peinture est son gagne-pain, me précisa-t-il.

Il m'a ensuite invitée à faire un tour à Saïdia by night inondée de jeunes émigrés déambulant et parlant haut et fort dans une ambiance de relents de frites et de l’assourdissante musique raï… Puis, en toute amabilité, l’artiste me convia à visiter sa petite maison. Je ne sais si c’est par goût de découverte, par besoin de communication, ou je ne sais quoi, comme on se jette à l’eau, j’ai dis oui à cet homme qui m’inspirait confiance et je suis partie avec lui dans un quartier dont les touristes ne connaissent pas l’existence. Un quartier qui incarne la fracture irréductible entre les riches marocains privilégiés et les pauvres oubliés et exploités… Un désordre indescriptible, régnait chez l’artiste. Des dizaines d'œuvres s'étalaient ici et là toutes pétries d'un talent fou ou d'un talent de fou, comme vous voulez. Il semble produire ses tableaux comme Renault fabrique ses voitures. Des dizaines de toiles de toutes les formes aux couleurs chocolat sombre mais belles, des configurations généreuses donnant un relief agréable à l’œil. Des morceaux de cuivre de toutes aspects incrustés dans la matière, des têtes de chevaux démoniaques, des compositions abstraites tout droit sorties de la subconscience et sans continuité d’un thème à l’autre. M’observant du coin de l’œil et voyant en moi une femme visiblement intéressée par ses toiles, sans  doute pensa-t-il trouver en moi une cliente potentielle, il entra dans une longue explication théorique :

A.Z : Vous savez, mademoiselle,  peindre et écrire n’est pas aussi facile qu’on le croit… il y a un temps de peindre et un temps de méditer… Personnellement, après chaque exposition, je traverse une période de confusion et de désordre intérieur. Selon l’importance de l’événement, il me faut quelque jour ou plusieurs semaines pour prendre de la distance. Je n’arrive plus à peindre, je ne peux rien décider ni organiser. Je suis entre parenthèse. Je n’arrive même pas à réfléchir, mes idées vont dans tous les sens, en ordre éparpillé. Si je tente de faire quelque chose sur le plan concret, je produis des catastrophes et, en plus, c’est extrêmement pénible. Alors, j’accepte de « perdre du temps ». J’entre dans une période qui me place hors du temps… Un temps qui me paraît extérieure à la trame de mon existence. Un moment de suspension. En me conviant gentiment à partager son repas et j’ai dis oui !… Invitation que je refuse d’habitude à mes meilleurs amis… il en profita intelligemment pour me présenter des livres… Des livres qu’il avait écrits lui-même sur ce qu'il avait vécu. Dans ses œuvres, il reprend les thèmes qui lui sont restés chers, ceux de son enfance à Oujda, dans les années 1940 et 50. La vision d'un homme sensible devant les horreurs de la vie quotidienne. De nouveau, au cours du repas, il continua son exposé :

A.Z : Dans mon lot de solitude, je reste de longues heures couché dans mon lit, les mains derrière la nuque à fixer un point imaginaire au plafond et à méditer. Puis, je me lève comme un somnambule et je me mets à écrire. J’écris tout ce qui me passe par la tête. Les idées sont confuses, en grande profusion et vont dans tous les sens. Je tente de ne pas me laisser impressionner par ma solitude et ces marécages de la vie compliquée qui m’entoure, mais ce n’est pas facile. Des sentiments multiples et contradictoires m’emportent dans tous les coins de la planète. Peurs, terreurs mêmes, souffrances, déceptions, désespoirs, amertumes, confusions, grandes blessures et égratignures d’orgueil… C’est une véritable soupe ! Je me sens transformé alors en une sorte de potage ! J’ai l’air droit sur ma chaise, vissé à mon stylo, dignement en train d’écrire, mais, à l’intérieur, je suis dans la marmite et ça bouillonne… »

L'artiste  me prépara diligemment un café à la cannelle, sans sucre, tout en continuant :

A.Z: J’ai appris à tenir bon avec ces désordres, à ne plus me laisser dominer par l’idée d’être nul, de peindre et d’écrire toujours la même chose sans parvenir à un résultat. Même si mes idées reviennent fréquemment avec force, elles sont souvent fausses. J’en ai eu la preuve des milliers de fois, même si, encore maintenant j’éprouve intensément que mon travail est une impasse. Or, je peux mesurer le trajet parcouru, d’année en année, de mois en mois, de jour en jour. Les sentiments ne sont que des sentiments. Ils veulent apparaître à nos yeux comme réels, attachés au monde, mais ils ne sont attachés à rien. Ils passent. Ils se transforment en autre chose. »

Les yeux en perpétuel mouvement, allant de ses toiles à mon visage, et de mon visage à l’ensemble de mon corps, il me parlait en gesticulants avec ses mains, comme le méditerranéen qu’il est. Il faut dire que j’ai toujours eu un faible pour les rêveurs de l’extrême. Des hommes défiant les frontières de l’humain… Des hommes qui se cherchent dans le labyrinthe de la vie et s’accrochent à leurs instincts … A l’ instant présent, à l’occasion offerte….

A.Z : Il ne faut pas croire qu’en deux ou trois heures la tempête de non création prenne fin, en moi. , ce doute d’inspiration et ce manque de confiance personnelle, peuvent durer des jours et des jours. Je ne sais jamais pour combien de temps j’en ai. Les mouvements de l’esprit ne sont pas faits pour me servir. C’est comme le tableau que je peins en ce moment… Il ne se crée pas pour me faire plaisir. Je voudrais que mon esprit soit mon serviteur, mais je me trompe bien ! Tout au plus, pouvais-je espérer rester encore le serviteur de mon esprit. La plupart du temps, je suis surtout révolté. C’est le marasme, alors que je voudrais avoir l’esprit ordonné et clair pour entreprendre telle ou telle démarche, pour m’occuper de tel papier m’autorisant à exposer dans cette ville… exposition qui m’est refusée chaque année parce que je ne graisse pas la patte du décideur ivre de son pouvoir… J’ai horreur de la corruption et des corrompus… Face au refus d’exposer par le représentant de l’autorité dans cette ville, je me réveille le matin avec le sentiment d’être inutile et perdu. Je ne sais rien faire de ma journée. Je me dis pourquoi continuer à peindre ? Pourquoi continuer à écrire ?… Pour qui ? Pourquoi pratiquer une activité artistique face à des responsables n’ayant aucun respect pour l’art et les artistes ? … N’ayant plus d’envie de peindre, je n’ai qu’un désir : brûler toutes mes toiles dans la voie publique, casser mes pinceaux et briser ma palette… En même temps, cela me fait peur d’agir ainsi en ce moment ou la chasse aux terroristes est ouverte. Un responsable à tous les pouvoirs d’arrêter qui il veut et quand il le veut… Vous vous rendez compte ? Mettre le feu à des toiles en pleine rue est un motif suffisant pour que ce responsable qui ne me porte pas dans son cœur m’ajoute sur la liste des innocents disparus. Alors je résiste à l’envie, je m’isole et je me mets à écrire et à peindre en dépit de ma douleur… Les phrases et la composition de mes toiles viendront au compte-gouttes, et ce seront toujours les mêmes… Même inutiles, et impuissantes, elles me redonnent petit à petit confiance en moi et en ce que je fais… »

L’artiste lance ses idées en vrac, comme s’il voulait à tout prix, se plaindre des responsables … Comme s’il voulait m’exhiber tous ses sentiments et me parler de sa maîtrise et de son savoir-faire… Comme s’il voulait aussi se faire valoir à mes yeux, malgré sa modestie… En réalité, il tentait juste de m’impressionner et justifier le temps qui passe avec un optimisme chaleureux, dédaignant le renfrognement et fixant quelques intentions non avouées à l’horizon.

A.Z : Oui, mademoiselle, en dépit du mépris des artistes par les responsables, je trouve tout de même la force de me mettre à peindre et à écrire. Je tourne effectivement en rond. C’est décourageant. Mon esprit est comme un nuage cotonneux, sans forme. Je rencontre même le sentiment de ne pas être présent dans mon corps. Comme on dit de manière commune à Oujda, « je ne suis pas là ». Et puis, au bout d’un certain temps, alors que j’ai perdu tout espoir, une transformation se produit en moi. Rapidement. En quelques phrases. En quelques touches de couleurs. Ce qui semble être sans point d’appui se transforme en une sensation intérieure de certitude, dure comme un roc. Une sorte de jouissance redonne consistance à mon corps et à mes idées. Je n’écris et ne peins plus dans le vide. Une force dirige ma main et ma pensée. Les phrases et les couleurs viennent de je ne sais d’où, elles me semblent aussi étrangères à moi que mes états précédents d’égarement, mais elles sont solides. Il m’arrive même de rencontrer des sensations lumineuses intenses, comme des sortes d’extases mystiques. Un passage à été accompli… Je sens que je ne suis plus perdu, mais je me demande qu’est-ce qui est là à ma place et coordonne mes pensées et mes actions… 

L’artiste chercha ses lunettes qu’il avait égarées. Il les trouva sur le potager de sa cuisine où une montagne d’assiettes et de verres traînent en désordre. A 65 ans, cet ex-fou de l’amour continue dans sa folie de chercher encore l’amour… Et il rêve également de célébrité et de reconnaissance. Il rêve de voir ses toiles dans les musées et ses écrits primés par des organismes d’intellectuels…

A.Z : Est-ce que je vous dérange par mes propos, mademoiselle ?

N.D : Mais non, dis-je. Je vous écoute…continuez, ce que vous me dites m’intéresse beaucoup. Continuez, s’il vous plaît !… Et dites-moi comment vous choisissez vos thèmes…

A.Z : Dans mes ouvrages, je considère que le thème est secondaire. , cela ne veut pas dire que le thème n’a aucune importance. Il s’agit seulement de ne pas le considérer comme une difficulté mais plutôt comme un soutien. Le thème est secondaire en ce sens que le principal pour moi est de peindre, de laisser mon inspiration se manifester en toute liberté. Ce qui est principal, c’est d’ouvrir un large espace dans lequel ma création pourra s’exprimer dans son ampleur. »

N.D : Parlez-moi à présent de vos sources d’inspiration… Qu’est-ce qui déclenche en vous le déclic…

A.Z : En réalité, mademoiselle, j’ignore ce qu’est l’inspiration, ni même si elle existe. C’est un mot que j’entends souvent, que d’autres emploient pour parler de leur création, mais pour moi, le mot « inspiration » est ressenti étranger dans ma tache. Un mot aussi surprenant que les autres termes que j’entends de la bouche de certains artistes et que je ne comprends nullement. Pour moi, le travail est une affaire de méthode, de régularité où il n’y a pas de place aux rêves chimériques. L’inspiration ? Je ne sais ce que c’est… Dans mon travail, je n’entends que ce que je me dis en dialogue interne. En m’écoutant, je distingue progressivement la position que j’adopte par rapport au thème que j’envisage. Depuis toujours, dès que je tente de créer quelque chose, je me trouve face à une sorte de vide. Comme le chanteur ou l’acteur qui a le tract avant d’entrer en scène. Sur un plan concret, la toile blanche m’attire et m’intimide à la fois… Sur le plan intérieur, devant chaque toile, je sens avant la première touche une sorte d’angoisse, ou en tout cas d’anxiété. L’impression que rien ne peut survenir et pourtant je voudrais que quelque chose apparaisse. Il y a une suspension douloureuse et paradoxale, un moment éternel de quelques secondes, de quelques minutes, parfois de quelques heures ou de quelques jours, et puis, d’un coup, ça bascule. Le sentiment d’impasse, d’être au fond du trou s’efface. Un trait est tracé sur la toile m’ouvre la voie. Par qui ce trait fut-il tracé ? Je ne me suis pas vu le faire. La création à eu lieu dans un court instant où mentalement je n’étais pas là… Mais tout de suite, je suis de retour. Le ronronnement habituel de mon esprit reprend. Une nouvelle palette de sentiments s’impose. Ils prennent toute la place avec leur traduction en dépréciation ou au  contraire en contentement… Ce qui vient ne convient pas ou est formidable, ce n’est pas ce qu’il faudrait ou c’est une création portée par la grâce, etc. Où est l’inspiration au milieu de tous ces sentiments, et de tous les autres qui vont continuer à se manifester tout au long du processus de la création ? Est-ce l’élan qui produit ce qui surgit ? Est-ce la force qui engendre le sentiment qui accompagne ce qui surgit ? J’ai l’impression que l’inspiration est l’ensemble. Aussi bien la force qui produit la trace sur la toile que le mouvement qui se transmue en sentiment. L’inspiration irrigue la situation dans son ensemble. C’est l’ensemble des forces qui créent le monde… 

A.Z : Savez-vous vraiment ce qu'est un artiste et comment il vit dans cette région du Maroc, mademoiselle ? …  savez-vous comment il souffre, comment il fonctionne ? Il se décourage, face aux nombreux ignares, face aux extrémistes endoctrinés qui comprennent mal la foi et qui, dans leur insuffisance, voient en lui un mécréant honni… Cette situation, dans certains cas extrêmes, devienne de véritables calvaires. L’artiste « interdit», « empêché » de s’exprimer est prit dans une contradiction destructrice. Ne pas pouvoir créer, lorsqu’on est porté à le faire, provoque une authentique souffrance, une impression de perte de sens. Il a le sentiment de gâcher sa vie. De ne pas bien employer son temps, de passer à côté de l’essentiel. Savez-vous aussi combien il est sous-estimé et victime de l’excès de zèle de certains agents de l’autorité parachutés au pouvoir? Un petit caïd analphabète culturellement traite les artistes peintres comme une pollution. Comme une affection parasitaire… Mais quoi qu’ils fassent, ces individus insensibles à l’art, ne peuvent nullement bloquer la création. La graine passe de toute manière. Elle attend le moment propice où se développer et, sans faute, alors, elle germe. Et, alors, elle se manifeste.

L’artiste cache mal sa nervosité. Il semble avoir plein le cœur. Je sens qu’il veut tout me dire. Qu’il a besoin de se plaindre à quelqu’un, d’être écouté.

A.Z : Peu de gens, mademoiselle, savent quelque chose sur le mépris subit par l’artiste d’ici. Rares sont ceux qui comprennent nos souffrances démultipliées à force d’être incompris et à cause de notre extrême sensibilité… Notre méditation, nos recherches en nous-mêmes, le temps de création vous croyez que certains responsables d’ici en ont la moindre conscience ? L'accès à la culture dont nous avons tous besoins, ces ignares robotisés ne le ressentent en aucune manière… La musique, la poésie, la peinture, la sculpture, l'écriture, le théâtre, les concerts, la danse, les expositions... tout cela, à leurs yeux n’est pas important. Même si tout un monde de création existe à l’état embryonnaire, pour ces inconscients, tout cela doit disparaître, car, pour la plupart, ce sont même là d’évidentes sources de débauche et de décadence… Alors comment doit-on faire pour la faire vivre cette culture civilisatrice ?  Comment,  échanger avec les autres peuples et montrer notre sensibilité au reste du monde? Comment faire comprendre à ces constipés de la tête que, si la nature est indispensable à la vie, la culture et les arts en sont la sève ? Comment faire pour changer la mentalité de ces responsables dans l’administration marocaine qui raisonnent à la manière d’un cupide épicier qui ne pense qu’au bénéfice immédiat… Comment leur faire comprendre et les persuader que les artistes, grâce à leurs créations, font avancer ce pays et même le monde où nous vivons… La création artistique, mademoiselle , est une activité humaine qui dépasse ce qui est habituel ou commun, afin de produire des images, des symboles et des idées nouvelles qui interpellent d'autres horizons. Sur un plan pratique, la capacité créatrice chez l'être humain exprime sa sublimation du réel, avec ses composantes politiques, économiques, sociales et culturelles, son aspiration vers des relations humaines plus adéquates et son ambition vers la liberté, la justice et le progrès… Dans ce sens, le peintre, même diabolisé par les ignares, doit continuer dans sa voie créatrice, il ne pourra que laisser des empreintes indélébiles dans le processus général du champ culturel, étant donné que l’art, avec ses multiples messages et questionnements, constitue un contenu ouvert à toutes les attentes… »

Tout y passe, par bribes, et le message se brouille derrière l'abondance des propos. Comme quoi, communiquer est un art difficile pour un homme qui consacra une bonne partie de sa carrière à peindre et à ne « discuter » qu’avec sa toile. Plus qu’à travers les mots de l’artiste, c’est dans sa peinture, que j’ai décelée sa sensibilité où le sourire, les larmes et la profondeur de l’âme sont mêlés. C’est un homme qui peint rageusement afin de se convaincre qu’il existe et de s’affirmer vivant. Qui s’exprime pleinement, soit en amour, soit en sa révolte, soit en sa violence dominée…soit dans sa tendresse, sa fureur de vivre, et de conquérir. C’est pour ça sans doute qu’il est peintre… Un peintre qui n’est jamais satisfait de son art, et son rêve d’amour toujours recommencé, l’entraîne chaque fois plus loin. N’importe, aussi déçu qu’il soit, il ne peut vivre sans peindre. C’est là qu’il trouve son accomplissement, là qu’il se retrouve, là qu’il oublie tout. Mais quand il peint cinq – six heures durant sans décesser, il faut bien qu’il s’arrête épuisé pour souffler un moment et reprendre des forces ; et c’est alors que le guette l’horreur du vide et de la solitude. Et c’est pourquoi, aussi fatigué qu’il soit, il lui faut chercher à s’exprimer encore, intensément. Alors il peint comme un enragé sous une musique de fond de Brahms, ou bien il tente d’écrire sur un gros cahier d’écolier des mots qu’il éprouve… ce que la vie exige de lui. Avant ma rencontre avec cet artiste connu et respecté dans sa ville natale, je n'avais jamais pu me convaincre tout à fait qu'une œuvre littéraire, une poésie ou une pièce de théâtre, m'ouvrait une fenêtre sur l'âme de l'auteur, même quand j'y avais trouvé un important degré de résonance personnelle. C’est pendant mes fréquentes visites à atelier où il habite en même temps, pendant nos franches discussions autours d’un couscous ou d’un thé à la menthe qu’il prépare lui-même, que j’ai commencé à comprendre l’artiste… A comprendre l’homme qu’il est, c'est-à-dire à aimé sa personnalité et sa façon de voir la vie, mais pas sa façon de vivre… Je dus reconstituer moi-même par bribes les détails de son passé. Il aurait trouvé bien trop ennuyeux de consacrer du temps à m'en donner un récit cohérent. Sa vie avait été aussi dramatique qu’un Gavroche de Victor Hugo ou d’un Rémi d’Hector Malot. Il avait grandi dans la misère de la rue, abandonné par sa mère dépassée elle-même par la dure réalité de la vie. Cet artiste à la volonté de fer et d’une obstination du même métal est né à Oujda. Et, c’est probablement à Oujda qu’il finira ses jours, car, comme les oliviers et les chauds térébinthes de cette région, il est resté attaché à sa ville natale. Libre penseur, il n'a pas de convictions politiques. Pour lui, toutes les religions et les discours populistes ne sont que mascarade et tromperies. Lui, qui ne croit pas au destin, ni à la chance, il n’a foi qu’en son travail… Il est compétent dans tout ce qu’il entreprend, mais il met dix fois plus d'énergie dans sa vie sociale. Il est intelligent, mais déteste ce qui est hypocritement intellectuel. Il est impatient, combatif, accrocheur et en même temps plein de tendresse. J’ai continué souvent à le revoir et à partager ses repas. Il cuisinait comme un chef. Ceux qui ont goûté son couscous, sont unanimes : il n’a pas son pareil dans l’oriental marocain. A table, il me divertissait avec ses brusqueries et son chagrin bourru. Pendant nos longues discussions qui duraient des heures, de temps à autre, il restait silencieux fixant un point imaginaire. A ce moment je n'arrivais pas à imaginer une seule seconde à quoi il pensait et ce qui se passait dans sa tête. Je n’avais pas la moindre idée de ce à quoi il pensait lorsque je tentais d’aborder sa vie intime, au sens de prévoir ce qu'il m'aurait répondu si je lui avais demandé, du tac au tac, de décrire ses pensées avant qu'elles ne fussent interrompues par ma question. À plus long terme, je percevais mal ses motivations, l'image qu'il se faisait de lui-même, de sa personnalité, de ses actions et de leurs ressorts. Même à la manière ridicule et rudimentaire de la journaliste que je suis, souhaitant « écrire» sur un personnage qui marque par son énigme, je n'aurais pas pu expliquer cet artiste fascinant de Saïdia. t même s’il m'avait commenté son état mental en continu, s’il m'avait expliqué ses actions dans son jargon, je n'aurais jamais disposé que d'un tas de mots inutiles. Si j'avais pu me représenter moi-même dans les situations qu'il vivait, m'imaginer avec ses croyances et ses obsessions, me mettre dans un état d'empathie me permettant d'anticiper ses moindres mots, ses moindres décisions, je n'aurais encore pas pu comprendre ne fût-ce que le simple instant où il fermait les yeux, oubliait son passé, n'avait aucun désir et se contentait d'exister. La plupart du temps, cela n'avait bien sûr aucune importance. Pendant tout le temps que je suis restée à Saïdia, nous étions lui et moi assez heureux ensemble, étrangers ou pas l'un à l'autre… que mon « bonheur », que le « bonheur » de cet artiste rencontré fussent ou non de même nature ! Les jours passant, il devint moins introverti, plus ouvert... Il n'avait aucun secret honteux à partager avec moi, ni de traumatisme infantile à me raconter. Mais il me laissa entrevoir ses petites peurs, ses névroses quotidiennes. J'en fis autant et allai même jusqu’a lui parler un peu de ma vie intime et lui expliquer, maladroitement mon obsession personnelle. Il n'en fut pas choqué. Seulement intrigué et même compatissant. Finalement, j'en vins à croire, avec les jours qui passaient, que je connaissais Abderrahmane un peu mieux, u sens traditionnel, celui qui semble suffisant à la plupart des amis. Je savais ce qu'il attendait de moi, et comment lui dire « non » délicatement pour ne pas le blesser. Nous avions nos discussions convergentes la paix dans le monde et divergentes sur les conflits du Moyen-Orient, nos éclats de rire, nos disputes, mais il devait exister une sorte de stabilité sous-jacente, puisque nous finissions toujours par décider de rester ensemble. En quelques jours seulement, son bonheur était devenu important pour moi, très important.

N.D : Monsieur Zenati… A un poisson au fond d'un puits, on ne saurait parler d'immensité, car il est enserré dans un espace étroit… Vous avez un style qui fait son chemin, dites-moi pourquoi vous restez à Oujda dans l’ombre alors que tous les artistes à Rabat, Casablanca, Marrakech, Tanger, Agadir  sont sous la lumière du projecteur ?

A.Z : Cette région du Maroc-Oriental est pour moi une grande source d’inspiration et d’apaisement… J’aime cette région où les hommes ont la voix haute et le regard dur mais le cœur tendre… les souvenirs de mon enfance et de ma jeunesse dans ses ruelles sont là, présents à chaque instant... J’aime me retrouver dans cette vieille ville millénaire, riche d’événements historiques. J’aime me promener à travers les dédales de ses ruelles et bavarder avec ceux de mon étoffe… J’aime ces gens… Ils sont pauvres, mais fiers ! Fiers de leur racine, fier de leur langue, fier de leur Histoire… J’aime voir de temps à autres ses gens simples, francs et sans complexes… C’est pour moi des gens heureux, des gens joviaux qui, même avec leurs regards durs, leurs voix fortes, leurs propos souvent sans aucun intérêt intellectuel, ils me fascinent et je me sens bien parmi eux.

N.D : Comment voyez-vous l’art et les artistes au Maroc ?

A.Z : Le paysage artistique au Maroc jouit d'un essor sans précédent au niveau des arts plastiques grâce à des artistes de renommée nationale. Néanmoins, , rares sont les artistes studieux qui ont la capacité de véhiculer des messages à travers leurs œuvres créatives. Et puis, l'art, ici, comme ailleurs, a ses admirateurs, ses stars, ses vips, ses ragots et ses laissés-pour-compte. L'art dans notre pays, c'est comme la mode: il a ses tendances, ses engouements, ses maîtres-à-penser et ses victimes. Le marché de l’art au Maroc, c'est comme la bourse: il a ses flambées et ses neurasthénies, ses bons et ses mauvais placements, ses bulles et ses crashs. Néanmoins, les artistes doivent garder leurs styles et les mettre à l'abri de tout dérapage d'ordre commercial. La vraie création n'obéit pas aux contraintes et aux exigences de l'offre et la demande.

N.D : Saïdia bouge dans son infrastructure actuelle. Elle se modernise dit-on… Son image séduit de nombreux européens qui achètent des maisons et s’installent dans cette cité balnéaire... Que pensez-vous concernant ce mouvement d’aménagement dans cette ville?

A.Z : Tout ce que j’espère, c’est qu’avec ces tonnes de bêtons, ces fenêtres d’aluminium et ces verres fumés, les mentalités des autochtones changent et évoluent dans le bon sens. Que les agents d’autorité robotisés regardent ce qui se passe dans d’autres villes côtières du Maroc et des autres pays autour de la méditerranée. Les touristes ne viennent pas ici que pour le couscous et le soleil.. Ils ne veulent pas bronzer idiots. Ils veulent découvrir le pays et sa culture. Il est regrettable de constater qu'une ville de la stature de Saïdia ne dispose pas encore d'une salle d’exposition pour les peintres locaux afin de permettre au grand public de goûter à la beauté d'un art aussi noble. D'autre part, à mon sens, l'inexistence d'infrastructures culturelle, théâtre, bibliothèque, susceptibles d'encourager les talents créateurs locaux constitue, à n'en point douter, une énorme perte pour toutes les générations… Nous avons à Oujda un stade qui a couté des milliards et qui ne produit presque aucun nom célèbre dans le domaine du football... Paradoxalement, il n’y a aucune école de beaux-arts dans la région. Et en dépit de toutes les conjonctures, l’ensemble du Ma-roc-oriental, n'a cessé de pourvoir le pays et le monde de noms illustres dans tous les domaines artistiques, que ce soit au niveau de l'écriture, du théâtre, de la poésie, de la chanson et de la mise en scène et de l’humour intelligent…

N.D : A votre avis, quelles sont les initiatives susceptibles de favoriser une évolution qualitative dans le domaine artistique, au Maroc en général et dans cette région en particulier ?

A.Z : L'une des initiatives les plus primordiales serait d'intégrer l’art dans la vie quotidienne et de voir l'État œuvrer pour son parrainage et sa subvention, à travers la mise en réserve d'un pourcentage du budget annuel pour sa mise en valeur, dans le cadre d'une politique qui vise le soutien de l'action artistique, qu'elle soit individuelle ou collective, et la protection de ses divers artistes des chocs et des frustrations. D'autre part, si l'État se met à bâtir des centres culturelles, des galeries d’expositions, des salles de théâtre, cela permettrait de fournir de nouvelles opportunités de travail aux artistes, ce qui favoriserait un contact direct et permanent avec le grand public et aurait, à moyen et à long terme, des répercussions positives sur son niveau culturel et le protégerait de toutes les dérives de fanatisme ou de désespoir qui se nourrissent de l'ignorance et de l'obscurantisme. Toutefois, il est impossible de réaliser une quelconque évolution qualitative dans ce domaine, tant que l'Université locale ne joue pas le rôle qui lui incombe, en motivant les étudiants à s'engager dans le monde des arts et en leur fournissant une culture et une formation solides dans ces aires de la création artistique, étant donné que ces jeunes constituent un élément dynamique dans la société et peuvent influencer positivement sur le système des choses, par le biais de la culture spirituelle. Ceci dit, il est impossible de développer une culture artistique effective dans le cadre de l'Université, en se contentant uniquement de cursus clos, dont les objectifs seraient de transmettre un certain nombre d'informations autour de l’art, en tant que simple exercice littéraire. Il faudrait plutôt que ces séances soient un point de départ pour le développement du goût esthétique chez les étudiants et une occasion qui leur permettrait de faire jaillir leurs capacités créatrices, critiques et pratiques.

N.D : Comment voyez-vous l'avenir de l’art marocain ?

A.Z : Excusez-moi, mademoiselle ...  il n’y a pas un « Art marocain », un « Art français » ou autre. Il y a l’art tout court. L’art est universel. Comme il n’y a pas de littérature féminine et masculine. La littérature est une. Mais je dois dire que l’art chez est prometteur, grâce notamment au grand nombre des expériences accumulées, que ce soit sur le plan de l'écriture, de la peinture, du théâtre ou de la musique. Et ceci, dans la pratique ou de la théorisation.

N.D : Comment êtes-vous venu à la peinture et quelle a été votre formation ?

A.Z : C’est la rue qui m’a formé... C’est la famine... C'est le froid... c'est le manque d’affection et les pieds nus été comme hiver qui ont développé ma sensibilité et fertilisé mon imagination… , pour moi, la pauvreté fut miraculeuse. Tout ce que j’ai réalisé était le fait d’un cœur solitaire qui souffrait de sa solitude : la solitude n’inspire-t-elle pas l’art et la poésie ? Je souffrais de ma solitude et pourtant, j’avais absolument besoin de solitude, de secret, d’anonymat ; afin d’aller sans cesse à la recherche de moi-même. Je pensais lentement, je m’écoutais rêver. J’étais tellement enfermé en moi-même qu’il me fallait peindre à tout prix pour dire qui j’étais… Je me cherchais dans mes contradictions. Je n’ai jamais eu la chance d’aller à l’école. Je suis un autodidacte au vrai sens du terme. Tout ce que j’ai entrepris et réalisé, c’était en tâtonnant. en faisant mille recherches et en tentant expérience sur expérience jusqu’à l’aboutissement du but recherché. C’est ainsi que je fus le premier au Maroc à utiliser le cuivre dans mes ouvrages créant ainsi mon propre style qui a fait école.

N.D : Je sais que vous êtes un artiste qui n'a pas peur d'affronter les obstacles, et d'approfondir l'imaginaire qui vous est propre. Une personnalité picturale ressort nettement de vos œuvres, avec votre vision et vos aspérités. Où et quand vous avez exposé vos toiles pour la première fois ?

A.Z : A Oujda… en 1958… C’était, à cette époque où les adeptes du non art pour qui le seul mot « tableau » dans une maison était une insulte… Où le peintre était considéré impie, son travail une infamie et ses recherches une aberration. Je ne sais pas qui je dois remercier, le public qui m’a encouragé ou mon travail acharné, mais, ma première exposition fut suivie par d’autres à la célèbre galerie nationale Bab Rouah à Rabat et dans d’autres villes du Maroc. J’avais lié une solide amitié avec les peintres connus de l’époque : Gharbaoui, Gaston Mantel, Ouardighi, Valez, Chaïbia, Paul Alerini, Ba-Allal, Albert Pilot et tant d’autres encore…

N.D : Grâce à votre persévérance, à votre détermination, à votre travail régulier et méthodique, vous faites partie de ces artistes qui sont sacralisés de leur vivant par le public connaisseur. Actuellement, vos tableaux prennent de la valeur et ils sont exposés chez les collectionneurs dans différents pays du monde.

A.Z : L’artiste est comme ses toiles. , plus il vieillit, plus il prend de l'expérience. Plus il prend de l'expérience, plus il a de la valeur...

N.D : Comment peut-on définir Abderrahmane Zenati ?

A.Z : Ce n’est pas facile de parler de soi, mais je vous dirais qu’Abderrahmane Zenati est un homme humble et modeste dans sa vie. Un peintre qui peint pour la peinture, je veux dire, une peinture faite dans le but d’exprimer des valeurs plastiques nées de l’intelligence, des sentiments et du métier. Je me construis de toile en toile et j’évolue, en construisant mon ouvrage, mon chemin, ma vie entière. Si ma peinture est diverse, et multiple, elle est à l’image de ce que je suis, un jour tendre et l’autre sauvage, à la fois sage et fou, amoureux de la vie et amoureux tout de ce que je vis. En somme, bourré de contradictions, car je suis un homme et je crois bien que l’homme est le carrefour de toutes les contradictions qu’il lui faut gérer dans l’harmonie. Je suis aussi un modeste écrivain engagé pour l'humanité, la paix et l'écologie, qui tente de surprendre les émotions refoulées des gens, la face cachée des choses. Un homme sensible, qui essaie, à travers sa peinture et ses écrits, de témoigner sa foi et son amour à toutes les personnes qui cherchent la raison de leur existence. La peinture et le livre sont pour moi des moyens pour rentrer en communication, en dialogue avec des femmes et des hommes dont le chemin de vie empêche momentanément de rencontrer le mien.

N.D : Vous avez publié en 1996, à compte d’auteur Les cigognes reviendront-elles à Oujda, livre qui fut choisi par l’Académie de l’Oriental pour l’examen du baccalauréat en 2003... Vous vous exprimez déjà à travers vos toiles… Que cherchez-vous à travers l’écriture ?

A.Z : Avec mon écriture je tente de remplir la fonction de fixer la laideur que je vois autour de moi pour la rendre plus intolérable.

N.D : Dans un monde en proie au doute et à l'incertitude, la question est de savoir si votre écriture, si toute la littérature marocaine possède le pouvoir de changer la mentalité des gens, et si tous les romanciers et poètes peuvent par leurs écrits, agir sur l’obscurantisme, ou encore s'en faire des adeptes. Avez-vous écrit et édité d’autres ouvrages ?

A.Z : J’ai écrit et édité depuis une quarantaine d’ouvrages qui trouvent un succès auprès de mes lecteurs.

N.D : Toujours à compte d’auteur ?

A.Z : Oui. Toujours…

N.D : Êtes-vous subventionné par l'Etat ou par un organisme ?

A.Z : Pas du tout…

N.D : Avez-vous toujours l’envie de peindre ?

A.Z : Je peins en permanence. Et si je ne suis pas devant une toile, j’ai toujours sur moi des feuilles de papier pour prendre des notes, et consigner les idées qui me viennent à l’esprit. Je les consulte par la suite lorsque je commence une nouvelle toile. La peinture est ma vie. 

Merci monsieur Abderrahmane Zenati pour votre accueil et votre disponibilité. Votre message est incroyablement puissant. C’est un message d'espoir et de paix. Le Ciel sait ce dont nous avons besoin comme des hommes comme vous dans le monde d'aujourd'hui. En fait je quitte ce soir votre exposition avec une sensation d'apaisement. Cet entretient que j’ai eu avec vous est très apaisant, très rassurant, très doux….

Entretien réalisé à Saïdia, au Maroc, par Nathalie Dubois:

kardub@yahoo.fr 

Abderrahmane Zenati expose chaque été ses ouvrages en plein air à Saïdia, la célèbre plage du Maroc-Oriental

ŒUVRES DÉJÀ PARUES (tirage limité):

Les Cigognes reviendront-elles à Oujda ?

L’Aube des Maudits

Le retour du bigame

Marjana

La seconde épouse

La maison en face

Tamoula

Paroles de fous

Al hogra

La Vallée

des Oliviers

Un Homme Simple

Paroles Étranglées

L’Homme en Colère

Adieu Oujda, ma bien-aimée

L’Homme d’Amérique

Mon ami Tchita le juif

Confidences d’un âne de l’Oriental

Haffou le fou

Le Vent de l’Est s’arrête à Figuig

Un Homme Presque Parfait

Ces hommes fous de l’Oriental

Des Mots à la place du pain

Le Fou de Sarah

Le Chemin de l’Enfer

Khalti Fatna

La Vallée Oubliée

Goût de cendre

Crépuscule des Anges

Nous n’irons pas tous au Paradis

Le cri de l’agneau

Merguez et Harissa

Grain de sable

Un dimanche à Saïdia

Le mal de l’absence

Tous ces ouvrages ne se trouvent pas dans le commerce. Pour se procurer un ou plusieurs exemplaires, contactez directement l’auteur :

Abderrahmane Zenati

B.P. 338 Poste de Saïdia Maroc

Tel : (212) 0661829262

Écrivez-lui et il vous adressera par e-mail les premiers chapitres d'un ouvrage que vous aimeriez découvrir :

abderrahmanezenati@yahoo.fr

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Commentaires
Hommeordinaire
  • Abderrahmane Zenati n'a jamais fréquenté l'école. Il peint, écrit et compose des poèmes en langue française à Oujda où il habite depuis sa naissance en 1943. Il édite ses écrits à compte d'auteur et utilise Internet pour les faire connaître.
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